Brigitte Fontaine : Prohibition (0130)

Publié le par Boris Ryczek

brigittefontaineprohibition.jpgRadio France nous donne en ce moment l'insigne honneur d'élire la "personnalité culturelle de l'année", à sélectionner au sein d'une brochette consensuelle de nominés, invariablement blancs, mâles, riches et célèbres. L'institution ne se donne plus la peine de mettre en scèhe ce qu'on a appelé un temps la "diversité", expression plus qu'agaçante, constatant par elle-même l'échec démocratique, mais donnant au moins l'impression d'un début d'usage du pluriel. Au lieu de cela, nous avons le choix, pour résumer l'année 2010, entre un architecte officiel, un styliste officiel, un écrivain redevenu officiel (après avoir été honni)... Pâle alignement de figures presque interchangeables, illustrant un discours culturel de plus en plus réduit à son simple appareil. 

 

Mascarade pour mascarade, les critiques du site Portraits, dédié aux jeunes artistes plasticiens, ont décidé d'élire la personnalité culturELLE de l'année, en forme de pied de nez féministe à cette unicité. Il est possible de participer au jeu grâce à un groupe facebook créé à cet effet. Personnellement, j'ai voté pour la rappeuse Casey, dont le dernier album, d'une réjouissante agressivité, est paru cette année.

 

Mais si elle avait fait quelque chose de marquant en 2010, j'aurais sans hésiter choisi Brigitte Fontaine pour saluer, comme il se doit, une personnalité et une carrière entièrement consacrées à emmerder lesdites institutions médiatiques, avec ses refus des discours prémâchés, des musiques formatées et des attitudes polies. Dans Prohibition, sorti une toute petite année trop tôt, elle s'en prend à une autre forme d'uniformité, en se posant en anti-modèle absolu de la citoyenneté au teint frais que l'on prône aujourd'hui, au ministère de la Santé comme dans certains milieux de la gauche bien-pensante. Je vous laisserai en apprécier la verdeur sans plus de commentaires... 

 

Les paroles :

 

J'exhibai ma carte senior
Sous les yeux goguenards des porcs
Qui partirent d'un rire obscène
Vers ma silhouette de sirène

Je suis vieille et je vous encule
Avec mon look de libellule
Je suis vieille et je vais crever
Un petit détail oublié

Passez votre chemin, bâtards
Et filez vite au wagon-bar
Je fumerai ma cigarette
Tranquillement dans les toilettes

Partout, c'est la prohibition
Alcool à la télévision
Papiers, clopes, manque de fric
Et vieillir dans les lieux publics

Partout, c'est la prohibition
Parole, écrit, fornication
Foutre interdit à soixante ans
Ou scandale et ricanements

Je suis vieille et je vous encule
Avec mon look de libellule
Je suis vieille et je vais crever
Un petit détail oublié

Les malades sont prohibés
On les jette dans les fossés
À moins qu'ils n'apportent du blé
De la thune aux plus fortunés

Les vieux sont jetés aux orties
À l'asile, aux châteaux d'oubli
Voici ce qui m'attend demain
Si jamais je perds mon chemin

J'ai d'autres projets, vous voyez
Je vais baiser, boire et fumer
Je vais m'inventer d'autres cieux
Toujours plus vastes et précieux

Je suis vieille et je vous encule
Avec mon look de libellule
Je suis vieille, sans foi ni loi
Si je meurs, ce sera de joie

 

(Fontaine, Belkacem, Prohibition, 2009, Polydor)

 

La version originale :

Publié dans Mille et une chansons

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