Nick Cave And The Bad Seeds : The Mercy Seat (0030)

Publié le par Boris Ryczek

The Mercy Seat est une très grande chanson, certainement le chef d’œuvre de Nick Cave. Il est rare de rencontrer un texte aussi riche de significations, qui ne tombe pas pour autant dans l’obscurité. C’est une dénonciation de la peine de mort et de la torture mentale infligée aux condamnés attendant parfois des années leur exécution. La « chaise de la miséricorde » est, en ce sens, une expression à prendre au pied de la lettre : beaucoup de prisonniers, vivant leurs derniers jours comme un interminable sursis, doivent ressentir leur mort prochaine comme une libération. Et c’est ce que nous décrit Nick Cave, en répétant obsessionnellement : « I’m not afraid to die ».  Mais en même temps, la chanson dit beaucoup plus que cela. Confrontés au monologue intérieur de ce personnage, nous ne savons plus, comme lui, s’il est coupable ou innocent, s’il a menti ou dit la vérité. Sans doute parce qu’à force de vivre dans la peau d’un condamné, on doit finir par se sentir coupable, malgré l’envie de vivre qui incite naturellement à se clamer innocent.

 

Par extension, c’est toute une vision noire de la condition humaine qui est retranscrite, celle dont le Christianisme nous a gentiment offert l’héritage : le Péché Originel, Jésus mourant pour sauver l’humanité, toute cette imagerie posant comme un état de fait notre culpabilité ontologique. Souffrir pour être sauvé, souffrir mais être sauvé, souffrir en espérant être éventuellement sauvé, voilà tout ce que proposent depuis deux millénaires les différents théologiens, en décrivant le dosage plus ou moins équilibré entre les quantités de bien et de mal disponibles dans le réservoir de l’âme humaine. Qu’ils soient Catholiques, Protestants, Orthodoxes ou prosélytes d’une des milliers de sectes minuscules tournant autour de cette religion, c’est toujours la même histoire ! Le Christ, exemple absolu, meurt dans d’atroces souffrances pour sauver les gens et ces derniers ont le choix entre plus ou moins l’imiter, plus ou moins se sentir coupables, plus ou moins compter sur l’infinie clémence d’un Juge Suprême qui rase des villes, provoque des déluges et envoie des diables sur Terre...  Prise dans ce sens, la chaise électrique devient également une « chaise de miséricorde ». Comme la croix, puis le bûcher et tous les autres supplices inventés par l’Eglise pour sauver des âmes, elle inflige la souffrance absolue qui purifie le condamné, en le rapprochant  de l’exemple christique. La peine de mort existe dans toutes sortes d’états totalitaires : des régimes religieux et des régimes fascistes ou staliniens substituant l’autorité étatique à l’autorité divine. Elle existe aussi dans quelques démocraties qui ne se sont toujours pas privées de cet attribut divin : le droit de décider de la vie et de la mort. Aux Etats-Unis, où le Christianisme envahit toujours la vie publique, je suis sûr que beaucoup de gens, pour ou contre la peine de mort, partagent cette vision rédemptrice décrite par Nick Cave, et qui était déjà en vigueur à l'époque où l'on brûlait les hérétiques. Malgré son enfance en Australie, il me semble avoir mieux compris l’Amérique que bien des auteurs américains.

 

Je ne sais pas si lui-même se considère comme un Chrétien. Dans une autre chanson (Into My Arms, que j’aime beaucoup) il affirme ne croire ni aux anges ni à un dieu interventionniste. Mais son œuvre est saturée par l’imagerie religieuse et je sais qu’il s’est improvisé exégète, dans une édition récente de la Bible que je n’ai pas lue. Sa grande force est de toujours présenter les choses à bonne distance. C’est un remarquable storyteller, dont les histoires soulèvent des problèmes, en n’y répondant que très partiellement. Un auteur moderne, en somme… C’est ce qui a permis à Johnny Cash, Chrétien évident et adversaire de la peine de mort, de reprendre The Mercy Seat dans une version admirablement dépouillée, présente sur son American III. Si celle des Bad Seeds est plus abrasive, proche de l’indus-rock, en voici une qui préfigure celle du vieil homme en noir. Grand luxe, une traduction est fournie ! Mais elle ne commence qu’au milieu de la chanson. N’hésitez donc pas à consulter le début des paroles.

 

Les Paroles :

 

It began when they come took me from my home
And put me in Death Row
Of which I am ne
arly wholly innocent, you know
And I'll say it again
I am not afraid to die

I began to warm and chill
To objects and their fields
A ragged cup a twisted mop
The face of Jesus in my soup
Those sinister dinner meals
The meal trolley's wicked wheels
A hooked bone rising from my food
All things either good or ungood

And the mercy seat is waiting
And I think my head is burning
And in a way I'm yearning
To be done with all this measuring of truth
An eye for an eye
A tooth for a tooth
And anyway I told the truth
And I'm not afraid to die

Interpret signs and catalogue
A blackened tooth a scarlet fog
The walls are bad black bottom kind
They are sick breath at my hind
They are sick breath at my hind
They are sick breath at my hind
They are sick breath gathering at my hind

I hear stories from the chamber
How Christ was born into a manger
And like some ragged stranger
Died upon the cross
And might I say

It seems so fitting in its way
He was a carpenter by trade
Or at least that's what I'm told

I tatooed E.V.I.L. across its brother's fist
That filthy five! They did nothing to challenge or resist

In Heaven his throne is made of gold
The ark of his Testament is stowed
A throne from which I'm told
All history does unfold
Down here it's made of wood and wire
And my body is on fire
And God is never far away

Into the mercy seat I climb
My head is shaved, my head is wired
And like a moth that tries
To enter the bright eye
I go shuffling out of life
Just to hide in death awhile
And anyway I never lied

My kill-hand is called E.V.I.L.
Wears a wedding band that's G.O.O.D.
`Tis a long-suffering shackle
Collaring all that rebel blood

And the mercy seat is waiting
And I think my head is burning
And in a way I'm yearning
To be done with all this measuring of truth
An eye for an eye
And a tooth for a tooth
And anyway I told the truth
And I'm not afraid to die

And the mercy seat is burning
And I think my head is glowing
And in a way I'm hoping
To be done with all this weighing up of truth
An eye for an eye
And a tooth for a tooth
And I've got nothing left to lose
And I'm not afraid to die

And the mercy seat is glowing
And I think my head is smoking
And in a way I'm hoping
To be done with all this looks of disbelief
An eye for an eye
And a tooth for a tooth
And anyway there was no proof
Nor a motive why

And the mercy seat is smoking
And I think my head is melting
And in a way it’s helping
To be done with all this twisting
A lie for a lie
And a truth for a truth
And I've got nothing left to lose
And I'm not afraid to die

And the mercy seat is melting
And I think my blood is boiling
And in a way I'm spoiling
All the fun with all this truth and consequence
An eye for an eye
And a truth for a truth
And anyway I told the truth
And I'm not afraid to die

And the mercy seat is waiting
And I think my head is burning
And in a way I'm yearning
To be done with all this measuring of proof
A life for a life
And a truth for a truth
And anyway there was no proof
But I'm not afraid to tell a lie

And the mercy seat is waiting
And I think my head is burning
And in a way I'm yearning
To be done with all this measuring of truth
An eye for an eye
And a truth for a truth
And anyway I told the truth
But I'm afraid I told a lie

 

(Cave/Harvey, Tender Prey, 1988, Mute)

 

 Nick Cave and The Bad Seeds à la télé :

Publié dans Mille et une chansons

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Commenter cet article
S
arf, quelle chanson... good pick bobo
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L
Si les objectifs de votre démarche sont de faire découvrir aux lecteurs de grandes chansons et de leur permettre de mieux en comprendre d'autres... ben, dans mon cas, ceux-ci sont pleinement atteints. Merci pour cet intelligent éclairage sur le texte de Nick Cave. Un blog sur lequel je reviens chaque jour (ou presque) avec beaucoup de plaisir et de curiosité. Une denrée rare...
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T
Pour la 30ème... merci d'avoir su nous éclairer cette très grande chanson. Fallait le faire... et tu l'as fait.
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